Le nouveau Carnet Hypothèses du projet VILMOUV est en ligne

« Villes en mouvement. Mobilités et recompositions socio-spatiales dans les espaces urbains de Méditerranée » (VILMOUV) est un projet de l’Ecole Française de Rome, soutenu par l’Institut Convergence Migrations et de nombreux partenaires. Le projet a donné lieu à un blog scientifique (hyperlien) où sont régulièrement publiés des billets issus des différents « ateliers-ville ».
Ce billet a été rédigé et édité par Simone Di Cecco, membre de la section Moderne et contemporaine de l’École française de Rome et membre du projet VILMOUV.

VILMOUV s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire d’une cinquantaine de chercheurs et chercheuses de plus de 6 pays, spécialistes en sciences sociales de la ville, des mobilités et des migrations. Il est coordonné par Camille Schmoll, géographe directrice d’études de l’EHESS, Thomas Pfirsch, géographe maître de conférences à l’Université Polytechnique Hauts de France, et Giovanni Semi, sociologue professeur à l’Université de Torino.

VILMOUV étudie le lien entre mobilités et transformations urbaines en Méditerranée, dans un contexte de changements politiques et socio-économiques majeurs. Différents types de mobilités sont envisagées dans leurs interdépendances : mobilités touristiques, migrations internationales, migrations étudiantes, mobilités quotidiennes, circulations marchandes et de consommation. Dans la lignée des mobility studies, le projet interroge également l’articulation de ces mobilités humaines avec des mobilités non humaines (marchandises, investissements, déchets etc.), la complexification des sens de mobilités remettant partiellement en cause les mouvements dominants jusqu’à présent et leur inscription dans l’espace urbain. Il s’agit d’interroger aussi la place donnée à ces diverses mobilités et à leurs articulations dans les politiques urbaines/nationales/supra-nationales. VILMOUV étudie enfin les impacts urbains de ces mobilités multiformes, ainsi que les inégalités et les présences légitimes et illégitimes qu’elles génèrent dans les villes méditerranéennes.

Les axes du projet

L’originalité de la réflexion portée par VILMOUV s’appuie sur la mobilisation des outils de l’analyse croisée développée par les historiens et du comparative urbanism des études urbaines pour confronter plusieurs configurations locales. Il s’agit d’une part d’interroger de manière critique la transférabilité d’un certain nombre de catégories de lecture des études urbaines (smart city, platform urbanism, gentrification, ville globale, duale, superdiverse, etc.) venues des pays du Nord européen ou des États-Unis, en confrontant villes du Nord et du Sud de la Méditerranée ; mais aussi de questionner de manière critique – grâce à l’entrée par les mobilités – la ville méditerranéenne, telle qu’elle avait pu être abordée en termes de mixité urbaine et de cosmopolitisme, de porosité, d’informalité et de rapport à l’espace public. Par ailleurs, s’il existe de nombreuses études sur la stratification urbaine, le tourisme, les marchés, les migrations en Méditerranée centrale, l’apport du projet réside dans le croisement des différents types de mobilités, qui jusqu’à présent ont souvent été envisagées de façon cloisonnée : c’est leurs relations et les ‘frictions’ qu’elles induisent qui nous intéressent ici, ainsi que l’articulation mobilité/immobilité, pour comprendre la ville actuelle.

Le projet s’articule autour de trois directions de recherches :

1) Une socio-géographie du privilège : approches intersectionnelles
Cet axe interroge, à travers le croisement des mobilités, les inégalités socio-spatiales dans les villes méditerranéennes. Il questionne, à la lumière des approches intersectionnelles, les dynamiques de stratification urbaine et termes de répartition sociale et de localisation du capital et du travail. Il propose également une approche de géographie morale pour interroger la légitimité ou, inversement, l’illégitimité de certaines présences dans la ville : migrations privilégiées versus indésirables, touristes et expatriés versus exilés, birésidentialité vs unirésidentialité. Il soulève la question de la visibilité et du ‘privilège de l’invisibilité’ à travers une de la ville lecture mêlant genre, génération et âge, classes sociales et racisation.

2) Usages temporaires et droit à la ville : marchés, campements, espaces publics
Cet axe étudie, par le biais des mobilités, les usages et les discours sur la ville mobilisés par les différents acteurs, pour comprendre les appropriations temporaires et les controverses qui les animent en termes de désidérabilité et de légitimité (ville diverse versus ville indigne, ‘degrado urbano’ vs ‘riqualificazione’, par exemple). On croise l’analyse des espaces de vente et de circulation commerciale (marchés, foires, fêtes, souks), des espaces résidentiels temporaires (campements et squats, hébergements de transit, hôtels, maisons d’hôtes et logements air bnb), des espaces publics, pour interroger les formes de citoyenneté éphémères et informelles qu’ils génèrent. C’est à la fois le point de vue des usagers et de l’urbanisme transitoire qui sera interrogé pour se demander : à qui appartient la ville ? Ordres sédentaires et mobilitaires sont-ils nécessairement en opposition ?

3) Crises, déprise, adaptations
Cet axe interroge les mobilités à travers le prisme de la déprise économique et démographique (émigration, vieillissement), des flux et reflux (des populations et du capital), des mobilités résidentielles induites par la crise socio-sanitaire (littoralisation par exemple), des formes de fixité (filtering down : permanence dans les centres-villes des populations défavorisées). On étudiera des politiques urbaines qui alternent entre rigueur et soutien et la place des activités dites informelles comme niche et/ou repli, les modes d’existence et de subsistance urbains ainsi que les espaces rassurants de solidarité et de coopération qui peuvent émerger en période critique ; mais aussi les formes de réinvestissement du capital opérés dans la ville rentière (transformation des espaces marchands et touristiques par exemple).

Terrains collectifs et co-production des savoirs

VILMOUV s’appuie sur des « ateliers-villes ». Ces « ateliers-villes » sont des enquêtes de terrain d’une semaine confrontant les regards entre spécialistes d’une ville et chercheurs/chercheuses d’autres terrains, et croisant les savoirs entre jeunes chercheurs/chercheuses et chercheurs/chercheuses confirmées. Ils mobilisent des méthodes principalement ethnographiques et qualitatives issues de différentes disciplines (anthropologie, géographie, histoire, sciences politique, sociologie) : observations, entretiens, photographies, parcours urbains commentés…

Entre 2022 et 2024, trois ateliers-ville ont été réalisés respectivement à Turin (Italie), Sfax (Tunisie) et Naples (Italie). D’autres ateliers-villes auront lieu d’ici à 2026 à Athènes, Tunis, Milan, Naples et Catane. Ces ateliers-villes donnent lieu à la production de billets ethnographiques en ligne, publié sur le site vilmouv.cnrs.fr. Le lecteur et la lectrice, spécialistes ou pas, peuvent découvrir des textes collectifs, rigoureux mais ayant un format accessible, riches en images et en descriptions ethnographiques, illustrés et en plusieurs langues (italien, anglais, français). Il est ainsi possible, par exemple, de s’aventurer dans les gares de Turin ou de suivre le parcours d’une femme barbécha à Sfax, d’interroger les usages de l’automobile par une classe moyenne libyenne venue se faire soigner à Sfax dans le cadre de mobilités thérapeutiques ou d’explorer les lieux de commerce de la maroquinerie à Naples. Bonne lecture !

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